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Option théâtre : l'école du spectateur

Par admin lyc-kastler-guebwiller2, publié le samedi 12 novembre 2022 11:16 - Mis à jour le samedi 12 novembre 2022 11:16
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Jellyfish ou nos mondes mouvants, Loo Hui Phang - Mise en scène : Jean-François Auguste (Comédie de Colmar, le 14.10.22) Crédits photos : Christophe Raynaud de Lage

Un conte moderne sur l’adolescence…

Olivier, un adolescent de 16 ans en rupture scolaire et convaincu de la fin du monde prochaine, vit reclus dans sa chambre. Fuyant ses semblables, il reste pourtant très curieux de leurs vies et passe son temps à les observer sur les réseaux sociaux et à poster, sous le pseudonyme C.U. (« See you »), des commentaires très critiques sur cette manière d’« étaler » l’intimité et un bonheur illusoire. Jusqu’au jour où Peggy, la fille du nouveau compagnon de sa mère, fait irruption dans sa vie. Peggy, non-voyante, devient paradoxalement le regard de C.U. sur le monde réel. D’un monde à l’autre, les deux adolescents s’affrontent, s’ouvrent et se découvrent. Ils dévoilent leurs fragilités, leurs failles tout en donnant à voir par des métamorphoses physiques fantastiques, leur personnalité, leur « mutation ». Peggy invite Olivier à sortir de son enfermement, l’entraîne dans le monde extérieur. Quittant la ville, ils se retrouvent dans une forêt, un lieu initiatique récurrent dans les contes, à la fois fascinant et effrayant. L’expérience commune de ce lieu symbole de découvertes et d’épreuves (l’obscurité, le froid, la peur…) les conduira à un dénouement qui dit l’union et l’apaisement. Ensemble, les deux adolescents ont grandi, ont surmonté leurs « démons intérieurs », leurs peurs et semblent armés pour « inventer » des « jours futurs », « dans le monde mouvant qui déjà leur appartient. »

Les élèves en parlent…

« Un spectacle à voir absolument par les jeunes ! »

◊ Le texte de Loo Hui Phang, écrivaine, scénariste et réalisatrice française.

Une pièce sur l’adolescence, comme un miroir tendu :

La méduse (jellyfish) : une métaphore du caractère « mouvant » de l’adolescence…

« C’est un texte très émouvant sur l’adolescence que nous connaissons si bien et qui est une période souvent difficile : les émotions décuplées, l'impression d'être incompris, le repli sur soi, la peur face à un monde angoissant et un avenir incertain... Au cours de leurs échanges, les deux personnages laissent libre cours à leurs émotions (peur, colère, souffrance…) et montrent qu’ils éprouvent encore des difficultés à les maîtriser. Ce « débordement » se traduit par des métamorphoses « physiques » qui peuvent surprendre et dérouter un peu le spectateur. En effet, du réalisme, nous basculons, avec ces métamorphoses, dans le fantastique. Le corps d’Olivier devient luminescent et peut, par ce caractère, évoquer la méduse (« Jellyfish ») capable d’émettre de la lumière. Celui de Peggy « se dilate » pour prendre l’allure d’une espèce de minotaure. »

« Certaines réflexions qu’Olivier et Peggy se font sur eux-mêmes nous touchent parce qu’on se rend compte qu’on en est encore au même stade dans notre évolution (on ne sait pas encore ce qu’on va devenir et ce qu’on veut faire de notre vie…). Comme le dit Olivier : « on n’est pas finis ». Mais personnellement, je pense qu’on n’est jamais réellement « fini » et que l’on évolue sans cesse en étant nourri par ce/ceux qui nous entoure(nt). »

« J'ai beaucoup apprécié le parallèle entre cette jeune fille aveugle qui ne voit absolument pas le monde autour d'elle mais qui va le faire découvrir à son demi-frère qui lui dispose de sa vue, mais vit enfermé dans sa chambre, connecté au monde uniquement par le biais des réseaux sociaux. Le spectateur a le sentiment que c’est lui qui est touché par la cécité, tant il est coupé du monde réel. »

« Je trouve intéressante la manière de montrer comment deux adolescents que tout semble opposer vont pouvoir se compléter, se « nourrir » l’un de l’autre pour grandir et avancer. La façon dont Peggy a ouvert les yeux de C.U., alors qu’elle-même est aveugle, est très touchante. De son côté, elle se nourrit aussi de C.U. La fin de la pièce, lorsqu’elle se métamorphose en minotaure et semble « manger » Olivier, peut symbolisait cette idée. La pièce s’achève sur une intervention du narrateur qui dit que les adolescents, encore endormis, viennent de passer la nuit ensemble. Cette nuit partagée est le signe de leur compréhension, de leur union.  Au début de la pièce, ils sont deux ; à la fin, ils ne forment plus qu’un. La réplique finale qui évoque le jour qui se lève suggère une renaissance ; une nouvelle vie va débuter pour eux, dans la tolérance et la sérénité. »

« Le message qui est passé dans cette pièce est beau : en s’unissant, on peut affronter les dangers ! »

« J’ai beaucoup aimé la manière dont les deux adolescents confrontent, opposent leurs idées sur la vie, le monde,… et tentent de se convaincre l’un l’autre. »

« J’ai apprécié le recours au symbolisme pour traduire le caractère incontrôlable des émotions de l’adolescence et les changements qui marquent cette période. Ces phénomènes sont suggérés par des métaphores (la méduse, le minotaure) qui présentent une dimension poétique, qui peuvent parler à l’imaginaire de chacun. Chacun d’entre nous peut avoir en lui quelque chose de la méduse et quelque chose du minotaure. »

Une pièce sur les réseaux sociaux qui nous invite à un recul critique :

« La critique des réseaux sociaux à travers cette pièce de théâtre est appréciable. On a tous besoin de ce genre de message pour nous ouvrir les yeux et nous faire réagir ».

 « J’ai trouvé que ce spectacle mettait bien en évidence les dangers liés aux réseaux sociaux. Les utilisateurs, qui y partagent parfois leur vie entière, oublient que chaque donnée est conservée… »

« La pièce de théâtre m'a fait réfléchir sur les réseaux sociaux, sur cette tendance à se mettre en scène, à afficher des sourires permanents, à  donner l’image du « bonheur », d’une vie heureuse… Une image qui peut être totalement fausse… »

« J’ai trouvé intéressant aussi de mettre en scène un adolescent extrémiste voire même complotiste qui pense agir pour le bien, tout savoir et se démarquer des autres alors qu’il est aussi addict qu’eux !  »

« Je me suis un peu reconnu dans le garçon qui était sur son ordinateur durant toutes ses journées et ne sortait pas de sa chambre ; je n’en suis pas à ce point-là, mais cela m’a fait réfléchir. »

Une pièce qui remet en question les stéréotypes associés aux genres :

« Ma scène préférée est celle où Peggy et C.U. se retrouvent sur le périphérique, puis dans la forêt car elle contredit les stéréotypes liés aux genres. On voit que Peggy est bien plus courageuse que C.U. Elle communique avec le monde, sait « lire » l’écorce des arbres… Le maître et contrôleur de tout, le monsieur « je sais tout » est, quant à lui, dans la forêt, aussi apeuré qu’un enfant ! Il demande de l’aide à Peggy car il a compris qu’il vivait dans une ignorance immense et qu’en critiquant tous ces gens qui passaient leur vie sur le net, il devenait comme eux. »

« Cette opposition est encore montrée par la nature des métamorphoses physiques associées aux personnages : à C.U., les discrets effets luminescents ; à Peggy, la puissance du minotaure. »

Une pièce sur le handicap :

« A travers le personnage de Peggy nous avons un aperçu du rapport au monde d’une personne privée de la vue. On comprend les difficultés, mais aussi la richesse de ce rapport particulier au monde, son extrême sensibilité. Lorsque la vision fait défaut, les autres sens sont développés et dépassent les capacités de ceux qui disposent de la vue. Une belle leçon ! »

« Le texte choisit aussi de placer la « vraie » force du côté de Peggy. Tout le monde la prend pour un « œuf » fragile auquel il faut faire super attention et pourtant elle est forte et indépendante. Sa transformation en minotaure peut se lire comme un symbole de cette force. Elle apparaît superpuissante face à un monde étranger et peut l’affronter sans aucune peur. »

La représentation

La scénographie est sobre, mais originale. Le metteur en scène a fait le choix de plonger le plateau dans une quasi- obscurité. Ce choix apparaît très pertinent et peut se justifier de différentes façons. D’une part, il correspond bien à la situation d’enfermement d’Olivier : il passe son temps dans sa chambre, uniquement connecté au monde par le biais de son portable. D’autre part, ce choix scénographique donne à voir les choses du point de vue de Peggy qui est aveugle. Le spectateur partage donc plus efficacement son rapport aux autres et au monde. Enfin, cette obscurité est en harmonie avec l’adolescence, une période de confusion et de réflexion.

Le décor se compose d’une plateforme rectangulaire noire, placée au centre du plateau et mobile. De part et d’autre de cette plateforme, sont alignées des structures métalliques mobiles sur lesquelles sont fixés des tubes lumineux et des projecteurs. Leur déplacement au cours du spectacle marque le passage de la chambre d’Olivier au monde extérieur : cadre urbain, puis forêt. Pour suggérer cette dernière de façon symbolique, Peggy tend des fils à travers l’espace. Leur enchevêtrement évoque celui des arbres. En hauteur, se trouve un écran sur lequel apparaissent les réactions des internautes aux commentaires postés par Olivier ou encore l’indication des espaces extérieurs dans lesquels s’aventurent les deux personnages (Bâtiment D, Forêt).

La scénographie surprend un peu au départ par son caractère peu réaliste et suscite des sentiments contradictoires. D’un côté, elle peut mettre un peu mal à l’aise par l’impression de froideur qu’elle dégage. De l’autre, elle a quelque chose de captivant. Ces effets sont bien sûr voulus par le metteur en scène. Il a en effet fait le choix d’un décor symbolique en accord avec les personnages et les thèmes de la pièce. Ce choix est justifié par le « vide » qu’Olivier fait régner autour de lui, son rejet des autres, du monde. Son rapport aux autres, au monde ne repose que sur le virtuel. Il est aussi justifié par la cécité de Peggy. Il correspond bien également à ce sentiment de peur éprouvé par les deux adolescents en scène. Ils sont à un âge où le monde environnant et l’avenir suscitent des craintes. L’ensemble peut encore suggérer une espèce de data center, ces centres où sont stockées les informations, les données numériques. Enfin, lorsque la plateforme rectangulaire est mise en mouvement de façon à suggérer un manège infernal, elle traduit bien le tourbillon d’émotions et d’idées dans lequel sont pris les deux adolescents.

La musique électro composée spécialement pour la pièce par le chanteur-compositeur Joseph d'Anvers joue un rôle essentiel. Elle accompagne les émotions des personnages, rend palpable la froideur du monde virtuel ou le caractère effrayant du monde extérieur, dramatise les moments où Peggy se métamorphose en « monstre » et renforce le caractère fantastique de la pièce…Associée aux jeux de lumière, elle contribue fortement à l’immersion du spectateur dans l’univers du spectacle.

Un travail très intéressant a été réalisé sur les costumes des deux personnages. Comme la pièce entière, ils sont dominés par la couleur noire et marient réalisme et symbolisme. Ils s’apparentent à des vêtements portés par des adolescents (sweat à capuche, bas de jogging noir, Converse pour C.U. ;  t-shirt oversize, short moulant et boots pour Peggy). Les motifs imprimés sur les hauts sont, quant à eux, symboliques. Des yeux géants apparaissent sur le sweat de C.U. Ils sont en lien avec son pseudo. « See you » : il est l’œil qui scrute les vies étalées sur les réseaux sociaux. Une énorme spirale sur le t-shirt de Peggy peut évoquer le labyrinthe où se trouvait le minotaure de la mythologie. Il peut encore suggérer ce qu’est le monde pour une aveugle. Il dit aussi ce qu’est l’adolescence : un âge où l’on perd quelquefois ses repères. Enfin, ces costumes sont dotés de propriétés textiles technologiques (luminescence pour le costume de C.U., volumes modulables pour le costume de Peggy, etc.) qui vont rendre possibles les métamorphoses « monstrueuses ».

La performance des acteurs est de qualité. Le metteur en scène a choisi des acteurs entre 20 et 30 ans pour incarner les deux adolescents. Les costumes, les coiffures et l’énergie de leur jeu donnent l’illusion de voir des adolescents sur le plateau. Leur interprétation des personnages est touchante, vibrante.

On note encore la belle performance de la comédienne qui a incarné Peggy, un personnage aveugle. Il faut trouver le jeu juste, crédible. Ses postures, ses gestes, ses déplacements, son rapport à l’espace, aux objets, à Olivier doivent prendre en compte cette contrainte.

Le rôle actif du spectateur

Ce spectacle plus que d’autres sollicite la participation active du spectateur. Le symbolisme des choix scénographiques, des costumes, des métamorphoses fantastiques nécessite un travail d’interprétation. Le spectateur peut être troublé par un sens qui n’apparaît pas forcément explicite ou immédiat. Il peut être à la fois frustré et stimulé. Frustré lorsqu’il lui revient de construire du sens là où il aimerait que ce sens soit immédiatement donné. Stimulé, par le sens à construire, les hypothèses à échafauder, par la liberté et la responsabilité qui lui sont offertes. A la fois frustré et stimulé par l’inconfort et la richesse des lectures plurielles.

A l’issue du spectacle : un « bord de scène » avec l’équipe artistique :

« J'ai adoré l'échange avec l'équipe artistique. Le metteur en scène a fait réagir les spectateurs sur la réception du spectacle, sur leur interprétation de certains éléments du spectacle telle la métamorphose monstrueuse et déroutante de Peggy. C’est enrichissant d’entendre les différents points de vue, les différentes interprétations, d’écouter des jeunes et des adultes… Le metteur en scène a interrogé aussi les spectateurs sur leur rapport aux réseaux sociaux, a rappelé certaines dérives ou certains dangers. C’était très intéressant. Certaines interventions de spectateurs nous conduisent à une réflexion sur nos propres pratiques numériques. »

« Je ne trouve vraiment pas facile de réagir à un spectacle directement après la représentation. Sur le moment, on ne sait plus exactement ce qui nous a touchés ou pas et on n’a parfois pas encore compris le fond de la pièce ou certains choix du metteur en scène…Un temps de recul est nécessaire. Mais en même temps, c’est réellement intéressant de pouvoir discuter de la pièce et des questionnements qu’elle peut soulever avec l’équipe artistique. C’est appréciable aussi de découvrir les acteurs hors de leur personnage. »